Mai 2016. Madame et moi décidons de visiter l’île de Madère
située à une portée d’heures de l’hexagone.
L’envie me tenaillait depuis plusieurs années de fouler cette
étonnante île volcanique accueillante aux amoureux ou aux passionnés des
fleurs, de la nature sauvage, des randonnées pédestres le long des levadas.
Nous réservons par le biais de l’agence Voyagez-Moi le vol et
l’hébergement en demi-pension à Ribeira Brava (rivière sauvage en portugais),
une bourgade en bord d’océan située à l’ouest de Funchal. Vol sans histoire et
atterrissage sans encombre sur une piste d’un aéroport considéré comme dans le
top 10 des plus dangereux. Il faut d’ailleurs une certification spéciale pour
les pilotes. Quelquefois les vols sont retardés ou annulés lorsque les vents de
travers sont trop violents. Cela met du piment et diffuse un petit parfum d’aventure
… La piste initiale trop courte (750m ) a été rallongée. La route côtière vers la pointe Saint Laurent
passe sous cet ouvrage d’art, une cathédrale de béton aux piliers imposants.
Le relief tourmenté de Madère a nécessité des travaux
gigantesques avec notamment le percement de nombreux tunnels sur l’ensemble de
l’île.
Si vous voulez tester vos mollets, réveiller vos quadriceps,
booster votre pompe cardiaque, si, automobiliste, vous voulez satisfaire votre
addiction à l’égard des démarrages en côte, le choix de Madère est tout
indiqué.
En revanche, si vous voulez enfourcher votre bicyclette il vous
faudra soutenir la comparaison avec Quintana ou Pinot ou alors ressembler à un aigle
des cimes. Les pentes accrochées aux flancs des collines et des montagnes sont
impressionnantes. Le dernier km de la course cycliste La Flèche Wallonne où la
pente dépasse les 20%, appelé le mur de Huy, n’est que de la roupie de
sansonnet à Madère où les pourcentages de ce type sont légion. On comprend
pourquoi nous croiserons très peu d’amateurs de la petite reine sur les routes.
Jour 1. Funchal
Le réseau des bus est efficace. Le bus nous amène de notre
port d’attache, Ribeira Brava, à Funchal en 30 mn pour un coût modique, 5,60
euros les deux tickets.
Funchal la capitale vaut le détour et on peut y consacrer 2 à
3 jours. Nous descendons du bus face au port. La longue avenue do mar nous amène
jusqu’à la gare du téléphérique. Pour 15 euros aller et retour il nous hisse
sur les hauteurs jusqu’au jardin tropical Monte Palace.
20 mn de montée. Nous ressentons un curieux sentiment,
celui de naviguer au-dessus d’une humanité urbaine en rasant parfois les toits.
A notre corps défendant, en survolant l’intimité des résidents, nous avons
l’impression de nous glisser dans la peau
de voyeurs.
De la cabine, on a une perception parfaite de la structure de
la ville et des difficultés d’urbanisation et de déplacements dans un
environnement montagneux qui se jette littéralement dans l’océan. Toits de
tuile rouge à faible pente, terrasses et maisons cossues avec piscine et
transats coexistent avec des ruines ou des habitations délabrées.
Étonnante, cette superposition des maisons sur des terrasses desservies par des volées de
marche en pierre pour accéder à son chez soi, ces voitures stationnées comme
des scarabées accrochés aux pentes vives. Un regard plus périphérique donne un
aperçu du réseau complexe des voies de circulation avec de nombreux tunnels qui
dégorgent leur cargaison de voitures, de camions, de bus.
On entre dans un autre monde avec le jardin tropical oasis de
fraîcheur, de calme, de verdure.
Madame est un peu déçue de constater que le site est surtout
composé d’arbres. N’oublions pas que Madère signifie « bois ». Lors
du premier pas de l’homme au XIVème siècle sur l’île, elle était peuplée de
forêts denses tropicales qui ont colonisé peu à peu le paysage lunaire de
cendres volcaniques. Ainsi, tout en prenant son temps, pas celui de l’échelle
humaine bien entendu, la vie végétale a reconquis le terrain abandonné lors des
éruptions volcaniques.
Nous empruntons une large allée descendant en pente douce.
Sur la gauche le mur d’enceinte est décoré d’azulejos, des panneaux de faïence
qui déroulent l’histoire de Madère avec les personnages qui ont marqué son évolution.
Face à un large panorama qui s’ouvre sur la ville et ses
environs nous dégustons un repas léger. Pendant 2 heures nous déambulerons dans
cet arboretum riche en espèces. Chaque arbre est identifié par une vignette,
mais souvent placée au ras du sol,
l’exercice de lecture devient rapidement compliqué pour les lombaires et les
genoux !
Un lac intérieur, à l’organisation baroque, accueille le
visiteur. Sculptures, statues, chutes d’eau, passerelles, végétation
luxuriante, le regard est sans cesse sollicité. Un cygne indolent se laisse
photographier en posant comme une star s’apprêtant à monter les marches du
festival de Cannes. Un totem en bois en forme de fusée ou de gros cigare exhibe
des hiéroglyphes et des personnages sortis de l’ancienne Egypte.
Nos pas nous mènent vers un autre univers. Surprenant cette
intrusion dans un espace qui nous emmène à Kyoto. Le Japon est présent avec ces
portiques rouges qui se dressent au-dessus des allées. Une statue de Bouddha
doré, clin d’œil vers l’Asie, aux traits impassibles semble ne pas voir les
créatures habitant les bassins, notamment les carpes koï. Dans une petite mare
calfeutrée par la mousse les grenouilles entament leur dialogue. Une tête vient
parfois écailler la surface veloutée.
Nous longeons le sommet de la muraille en surplomb d’une rue.
A ses pieds des hommes habillés de blanc comme des joueurs de pelote basque conduisent
de main de maître des paniers en osier : nichés en leur sein ses occupants
se font une petite frayeur pour une descente à tombeau ouvert l Succès assuré
auprès des touristes…mais la liste d’attente est longue…et le tarif élevé !
José Berardo le riche propriétaire du jardin n’hésite pas à
introduire dans le site un bâtiment aux lignes modernes – qui, avouons-le
détonne un peu dans la luxuriance du lieu- consacré à l’art africain, notamment
du Zimbabwe et à la géologie. Les sculptures en bois proviennent d’artistes de
la 2ème moitié du XXème siècle : visages aux formes
expressives, torturées, énigmatiques, marmoréennes. Des animaux se glissent
parfois dans cette forêt de visages et de bustes.
Ce jardin offre aussi une curiosité, l’alignement de soldats
chinois en bois, peinturlurés de couleur vive. Est-ce un clin d’œil à l’égard
de ces milliers de soldats en terre cuite découverts il y a 40 ans en Chine gardant
dans un silence immobile le tombeau de l’empereur Qin ? Curieux, pittoresque
mais somme toute peu étonnant dans un jardin ouvert sur le monde.
Jour 2. Funchal.
L’objectif est de sillonner la ville à notre rythme et en
prenant notre temps.
Nous choisissons de prendre un bus local qui fait l’école
buissonnière et dédaigne les voies rapides. 1h20 de trajet qui nous familiarise
avec la géographie de l’île, routes sinueuses et étroites, vues superbes au
détour d’un virage, des plongées vers les villages et des montées abruptes. Parfois
l’océan se dénude lors d’une trouée visuelle dévoilant par coquetterie son
liseré laiteux qui caresse le rivage.
Nous savons ce qui nous attend demain car ce trajet nous donne
la mesure des conditions de circulation à Madère en dehors des voies rapides.
Le mot plat pays est à rayer du vocabulaire des automobilistes…Le bus stoppe en
pleine montée pour desservir les arrêts, les croisements sont parfois à la
limite.
A Funchal, quelques nuages bourgeonnent au-dessus des monts
surplombant la ville. La ville de Funchal est peu étendue ce qui permet de la visiter
à pied sans trop de fatigue. En revanche pour s’aventurer sur les hauteurs il
faut prendre le bus ou un taxi.
La vieille ville accueille nos pas arpentant les rues
étroites. Les restaurants pullulent et des rabatteurs interpellent sans cesse
les clients potentiels. Le quartier est en rénovation. Le charme des vieilles
pierres est indéniable.
Depuis plusieurs années des artistes prennent possession des
rues, des portes et des murs pour y créer des fresques, touches de couleur,
d’humour et de fantaisie. Le résultat est surprenant et on prend plaisir à
s’arrêter pour contempler ou commenter telle ou telle peinture. La rue de Santa
Maria regorge de fresques c’est moins le cas pour les rues avoisinantes.
Certaines fresques murales sont mangées par l’effritement du
revêtement. Un cheval ailé peint sur une façade tente vaillamment de résister à
l’outrage du temps et des intempéries… mais l’œuvre est menacée.
L’objectif est double : d’une part redonner vie à un
vieux quartier menacé par l’abandon et la détérioration de l’habitat ancien,
d’autre part sensibiliser la population et par ricochet les visiteurs à l’art
et à la culture.
Ne jugeons pas les œuvres même si certaines peuvent ne pas
plaire au goût commun. L’initiative est bonne et nous l’avons appréciée.
Déjeuner au restaurant Portao. Menu succulent et bien
présenté dans des assiettes rectangulaires. Service un peu lent, 30 mn
d’attente…mais au bénéfice du repos de nos vieilles jambes !
Les portes de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption ouvrent
à 16h. Elle a été édifiée entre 1485 et 1514 par les chevaliers de l’ordre du
Christ. Contraste entre la façade de crépi blanc et les embrasures de basalte noir. Contraste entre la
sobriété architecturale extérieure et la richesse et la profusion de couleurs, de
peintures, de statues, d’éléments architecturaux qui s’offrent au regard du
visiteur lorsqu’il y pénètre. Quelle magnificence ! Il y a du monde. Le
sol est parqueté, le bois est d’ailleurs omniprésent. Ce lieu propice à la
prière et à la contemplation est aussi un enchantement pour les yeux. La tête
levée vers le plafond de la nef je reste en arrêt devant cet assemblage de
caissons et marqueterie en bois de cèdre.
En tant que visiteur je suis toujours un peu gêné de côtoyer
les fidèles se recueillant, priant, le discret mouvement des lèvres chuchotant
ou psalmodiant. Les touristes se font discrets la tête levée vers la nef ou en
arrêt devant le retable du chœur, ses stalles, ses douze panneaux de peinture
flamande, les autels de Saint Antoine et du seigneur Jésus. Un délice pour les
yeux.
Le temps est clément. Nous conseillons d’emprunter la large
allée dallée qui jouxte l’avenue do mar avenida et qui offre une promenade
vivifiante et reposante avec vue sur le port, la baie et l’océan. Une réplique
de la Santa Maria, la caravelle qu’utilisa Christophe Colomb pour traverser
l’Atlantique propose des sorties en mer. Elle est amarrée près des navires de
plaisance ou des vedettes rapides. Cependant, un paquebot de croisière barrant
l’horizon attire le regard volant ainsi un peu la vedette à ce voilier entré
dans la légende.
Jour 3. Route côtière de
Ribeira à Porto Moniz
Le lendemain direction sud-ouest. On loue à l’hôtel une Fiat
Punto pour 3 jours en nous délestant de 130 euros. L’objectif est de longer la
côte jusqu’à Porto Moniz et de revenir par le col d’Encumeada.
Cette partie de l’île est réputée plus ensoleillée mais
aujourd’hui les nuages seront nos fidèles compagnons de route. Nous aurons au
cours de cette journée un cocktail climatique riche et varié, brouillard,
pluie, vent, soleil.
Nous suivons le circuit touristique traditionnel. Brève étape
à Jardim do mar, les jardins de la mer. Charmant village aux ruelles étroites
qui descendent de manière abrupte vers le rivage. Promenade en bord de mer. Il
n’y pas âme qui vive. Un escalier de pierre aux rampes rouillées nous tend les
bras. Nous acceptons son invitation pour nous retrouver au centre de la
localité. Village fleuri. A l’ombre d’un frangipanier nous goûtons la sérénité
des lieux.
Madame a vite maîtrisé l’art de la conduite à Madère. Le
guide touristique présentait le trajet jusqu’à Paul do Mar comme dément. Madame
a négocié les lacets et les pentes comme une lettre à la poste ! Mais cela
a été autre chose pour les ouvriers qui ont construit cette route sinueuse et
tourmentée. Certains y ont perdu la vie. Sur les hauteurs le dénivelé apparaît
spectaculaire avec une vie sidérante sur les falaises et le rivage qui subitement
semble s’éloigner.
La promenade vers le phare Ponta Do Fargo nous plonge dans un
univers à trois dimensions : le vent breton, la lande écossaise et les
côtes sauvages irlandaises. Cheminement agréable sur la lande qui borde les
falaises jusqu’au phare qui ne se visite pas. L’intérêt est de jouir de la vue
splendide qui s’ouvre à nous.
Ce matin décidément nous prenons de la hauteur et nous nous
confrontons au vide. Ce sera le cas pour l’’étape suivante à Achados da cruz.
Un téléphérique à la descente verticale assumée glisse le
long de la falaise. 4 mn de descente pour 500m de dénivelé. 4 jeunes allemands de grande taille nous tiennent compagnie.
Curieusement la descente ne procure pas de sensations fortes, pas de vibrations
ni de hoquets de la part du couple ascenseur-câble. En contrebas nous attendent
des parcelles cultivées mais en vérité beaucoup sont désormais laissées en
jachère ou à l’abandon.
D’en bas la perspective est impressionnante. Je pense aux
paysans, d’avant la mise en place de l’ascenseur, gravissant les sentiers escarpés
le panier sur l’épaule. Labeur des hommes. Respect.
La main de l’homme a laissé son empreinte pour faire de ce
rivage sauvage exposé aux intempéries une terre agricole. Des sentiers
empierrés courent le long des parcelles. Elles sont protégées du vent et des
embruns par des murets de pierre surmontés de fascines. Une porte en bois
lessivée par le temps et munie d’un cadenas clôt le tout.
Un charme indéniable se dégage de l’endroit. S’il n’y avait
pas ces traces de l’activité humaine, on pourrait s’identifier comme des
naufragés rejetés sur la grève…
En raison du manque de temps et avouons-le, d’un peu
d’indolence, nous tournons le dos au chemin piétonnier qui aurait dû nous mener
au sommet…pour emprunter l’ascenseur. On a un alibi, l’air de la mer a creusé
notre estomac ! Il est temps de se restaurer. Justement une bicoque perchée
en bordure de falaise fait l’affaire. Nous poussons la porte. L’ambiance
rustique, surannée me plaît. De petites tables en bois attendent le client peu
farouche question menu.
La tenancière à l’air décidé et direct nous tend sous le nez
une carte à 4 volets. Son allure me dit qu’il ne faut pas trainer pour faire
notre choix.
Quand la maîtresse des lieux glisse mon assiette sur la
table, un monticule de frites, encadré par deux flacons de ketchup et de
moutarde taille XXXL, se dresse fièrement sous mes yeux surpris. Madame
rigolarde appuie là où ça fait mal en me demandant où est le bœuf ! Je ne
réclame pas vaincu par cette situation cocasse…due à une lecture rapide du
menu. Madame, quant à elle, se régale avec des toasts au fromage…Injuste. La
note est à la hauteur de la simplicité et de l’authenticité de ce resto d’un
autre âge, 12 euros eau, café, thé compris.
On a néanmoins apprécié cette pause.
Nous poursuivons notre route vers Porto Moniz. Très peu de
circulation. Des nappes de brouillard jouent à cache-cache avec son cousin le
soleil. A un détour d’un virage le paysage laisse apparaître les traces d’un
coup de vent violent et d’un incendie. Des arbres gisent sur les pentes, les
troncs de nombreux arbres sont noircis seulement à leur base. Curieusement les
flammes après avoir prélevé leur dose ont dédaigné les parties supérieures.
La descente vers Porto Moniz est vertigineuse. Des
points de vue plongent vers la ville reposant sur un vaste promontoire ceint
d’une côte hérissée de roches volcaniques.
C’est un site prisé des touristes attirés par ces piscines
naturelles d’eau de mer. Nous cheminons dans le dédale des allées bordurées par
les blocs de lave. Deux jeunes hommes en tenue de bain se préparent à entrer
dans la danse proposée par cette eau de mer. Les touristes bien vêtus les
regardent en se demandant quelle température fait-il.
Les vagues se fracassent sur les rochers et la brume
enveloppe les pentes et la ville.
Après cette courte incursion dans cette curiosité naturelle
nous remontons vers les hauteurs pour cheminer en direction de la côte Nord et
Sao Vicente.
Nous n’aurons pas le temps de visiter les grottes sculptées
dans la lave. Petite promenade dans ce bourg : église pittoresque et volée
de larges marches…
Nous reprenons la route vers le col d’Encumeada. Brouillard,
pluie nous accompagnent. Au détour d’un virage, un véhicule est en travers
l’avant droit défoncé par le choc avec un parapet en ciment. Eh oui, la
chaussée glissante exige de la vigilance et une conduite adaptée.
De l’autre côté de la ligne de crête, le brouillard et la
pluie s’estompent. L’astre du jour nous salue. La longue descente vers la
vallée est propice à des arrêts fréquents pour jouir du paysage somptueux. Le
dessin de la vallée en ligne de fuite est particulièrement attractif. Il est
temps de rentrer pour le thé…
Jour 4. De la Pointe
Saint Laurent au Pico do Areiro.
Le lendemain
l’objectif est de rejoindre la presqu’île de Sao Lourenço où des sentiers
balisés permettent d’atteindre son extrémité et éventuellement d’y pique-niquer.
A 10h, le parking n’est
pas encore saturé mais de nombreux marcheurs sont déjà en train de fouler le
sentier. Le temps est maussade mais cela ajoute à la beauté du site qui paraît
encore plus sauvage. La randonnée est superbe. Le sentier balisé, parfois
empierré et comportant des marches pour les parties escarpées facilite notre
progression. Au tournant d’une sente, j’ai compris pourquoi le chemin était à
certains endroits bordé de piquets en fer reliés par des cordes.
Des bourrasques m’accueillent et me rejettent littéralement
en arrière. Cette presqu’île est comme un glaive perçant l’océan, la proximité
des deux rives nous expose à des vents de travers d’une violence incroyable. Mais
les points de vue sont sublimes de part et d’autre de cette langue de terre
montagneuse. En fonction du parcours soit le vent nous oblige à des courbettes
vexantes (vanité mâle oblige !) tout en progressant à l’aide de la corde,
soit il nous expulse littéralement vers l’avant comme une voiture de formule 1 libérée
par le coup de feu du starter. Il faut vite apprivoiser cet élément et
redoubler de prudence. Mais en définitive cela ne concerne que quelques
portions du parcours. En contrebas monsieur océan balaie la grève y laissant sa
morve blanchâtre. On jouit du spectacle.
2 heures de marche. Nous rebroussons chemin. Au retour nous
croisons de longues files de randonneurs, certains bien équipés, chaussures de
marche, vêtements de pluie, bâtons. D’autres
ont emmené leur pique-nique. On leur souhaite bon courage.
Direction vers Santana. Dès que l’on quitte la voie rapide –
est c’est l’une des caractéristiques de Madère – le trajet se compte en temps
et non en kilométrage. Nous nous engageons sur une route de montagne peu
fréquentée. Les belvédères sont nombreux. Sur une aire de pique-nique déserte
surplombant Porto da Cruz nous avalons notre sandwich accoudés à une rambarde de
pierre.
Délaissant Porto da Cruz, nous arrivant à Santana par une
route accidentée très agréable. La présence d’une grande densité de voitures et
d’autocars témoigne de l’intérêt touristique de la ville marquée par la
présence du curieux habitat de maisons triangulaires. Avouons–le, on est un peu
déçus. L’intérêt est limité.
Nous repartons rapidement. Prochaine étape vers notre coup de
cœur, la découverte de la forêt primaire subtropicale, les levadas et le Pico
do Arieiro.
La forêt dense est composée de nombreuses espèces. Par quel processus
– mais c’est le mystère de la vie- cette île volcanique mise à nue par les
éruptions a pu accueillir, nourrir, entretenir cette merveille naturelle ?
L’humidité est forte mais vivifiante, rafraîchissante, les
odeurs comme l’eucalyptus nous enivrent. Impression de fouler un monde d’avant
les hommes. Silence, beauté, sérénité. Les forces de la vie donnent leur pleine
mesure.
Les fougères recouvrent le sol de son manteau protecteur, sur
les talus les racines ressortent veinant ainsi le matelas terreux et rocheux.
Les roches comme des gardiens des lieux nous surveillent et nous saluent à la
fois. On écarquille les yeux, on s’arrête et on remplit nos poumons de cet air
si enivrant. Moment de félicité.
Ribeiro Frio est le point de départ de randonnées. La plus
courte, 45 mn environ vous emmène vers un balcon avec des vues sur les sommets
les plus élevés…à condition que la couverture nuageuse ne vienne pas
s’interposer, ce qui est le cas aujourd’hui. Nous décidons d’emprunter pendant
1 heure la Levada do Furado dont le point d’arrivée se situe à 11 kms à
Portela. Il faut compter 3h30 pour cette randonnée qui attire nombre de
randonneurs.
Le chemin est large. Nous l’empruntons pendant une trentaine
de minutes. Une petite randonnée certes mais qui permet de nous imprégner d’une
atmosphère magique. L’ambiance est bucolique, le moment est rare. Nous
cheminons sous une voûte épaisse formée par le laurier et la bruyère. Les
troncs d’arbre et les rochers sont moussus, des lichens se laissent tomber des
branches ou se nichent formant des boules d’ouate gris blanchâtre. Sur le côté
l’eau s’écoule dans les rigoles creusées depuis des siècles pour les plus
anciennes.
On est au cœur de la forêt endémique de lauriers. Le taux
d’humidité est élevé. La brume venue de la mer est condensée par les feuilles
de laurier ce qui alimente les cascades, les ruisseaux et par voie de conséquence
ce réseau artificiel d’irrigation, les levadas. L’objectif est de capter l’eau
du Nord pour l’amener vers les cultures situées au Sud ou sur les plateaux. Ces
levadas sont devenus une richesse touristique pour Madère tant ils attirent de
manière justifiée les randonneurs. Ces randonnées sont classifiées avec des
étoiles. Elles offrent un panel contentant aussi bien des familles avec enfants
ou des personnes âgées que des randonneurs aguerris et bien équipés.
Sur une terrasse surplombant la route nous dégustons notre
thé. L’endroit est couru.
Destination le Pico do Arieiro 1807m au centre de l’île qui
constitue une des épines dorsales de cette île.
On est encore dans la forêt laurisilve. Les arbres droits
dans leur botte négligent la terre ferme pour tutoyer les hauteurs. Des nappes
de brouillard et de brume mêlés créent une atmosphère étrange, fantasmagorique.
Un imaginaire peuplé d’elfes qui convoque des figures comme la fée Viviane,
l’enchanteur Merlin…
Parfois des lambeaux de brouillard se détachent flottant
au-dessus de la route ou se jetant à l’assaut de la cime des arbres.
Madame les compare à des flammèches venant lécher leurs
proies.
Puis le voile se déchire brutalement. La route s’élève
au-dessus des nuages. Nous décollons vers un paysage splendide en dépit du
temps nuageux.
Les sommets environnants s’offrent à nous, regards
ébahis. Il fait frais mais le bleu du
ciel faisant fi du manteau nuageux éclaire ce moment privilégié.
Restaurant et boutiques de souvenirs sont naturellement
présents dans ce lieu très fréquenté par les amoureux de la montagne, des
points de vue, de la randonnée. Avouons-le, les photos prises par mon appareil
sont décevantes et ne rendent pas totalement compte de la magie du lieu…
Chers amis prenez votre temps et profitez à plein de ce
temple naturel.
Quant à nous nous redescendons vers Funchal, retraversons le
plafond nuageux. Nous nous laissons envelopper par la brume puis le soleil nous
surprend tout à coup alors que le trafic s’intensifie à l’approche de la ville.
Longue journée passionnante quoique fatigante. Il est temps
de retrouver la quiétude de l’hôtel perché sur les hauteurs de Ribeira Brava.
Voyager c’est aussi mixer des moments forts et ambitieux avec
des plages plus reposantes.
Jour 5. Du belvédère
Cabo Girao aux petits ports de la côte Sud-Ouest.
Aujourd’hui au
volant de la Fiat Punto Madame plaide pour moins d’ambitions pédestres et de
route !
Allons- y vers dans un premier temps Cabo Girao. Le trajet
sinueux et montagneux nous emmène vers un site très fréquenté. En témoignent la
présence de nombreux véhicules et cars de touristes ainsi que les hôtels dont
les balcons sont tournés vers l’océan.
C’est le rendez-vous pour des émotions fortes. Pour
les sujets au vertige abstention recommandée. Une avancée dans le vide avec
sous nos pieds une plateforme en verre surplombant un vide de 600m…Etrange de
voir la falaise à pic sous un angle réservé d’ordinaire aux espèces volantes. Près
de la grève ourlée d’écume, on distingue les parcelles cultivées. Succès
garanti. Un bon point pour attirer les touristes et habitants de l’île.
L’île de Madère est bien dotée en termes de villages côtiers,
chacun ayant son charme particulier.
Déjeuner à Camara de Lobos (la chambre des loups) au Bar do
Mar. On imagine Winston Churchill chapeau de paille et gros cigare peignant ce
petit port niché au fond d’une anse. Après sa retraite politique, il y venait
pour se ressourcer, écrire ses mémoires et s’adonner à une de ses passions, la
peinture.
Sur la gauche les maisons s’accrochent le long des rues
menant en haut de la falaise. Sur la droite nous empruntons une rade prolongée
d’une barrière de rochers de lave. Nous y grimpons et pendant de longues
minutes nous jouissons de l’endroit et du point de vue sur la côte et la rade à
nos pieds qui accueille quelques embarcations de pêche. Un madérien s’affaire
autour d’un petit chalutier perché sur des cales. Simplicité, calme, sérénité.
Nous repartons vers Porta do Sol, charmante bourgade cernée
de hautes falaises et occupant une baie en demi-lune. Une rade protège le port.
La descente vers Porta do Sol est vive. C’est la fête dans ce bourg dont est
originaire le père de Dos Passos l’écrivain américain dont les livres sont peu
lus de nos jours. Mais en hommage à l’enfant du pays - même s’il est né aux USA
- un centre culturel est dédié à son nom.
Promenade dans le bourg. Sur la gauche du port on avise un
bâtiment couleur ocre. Nous voici grimpant une pente à fort pourcentage. Pas de
souci, la pratique de Madère depuis plusieurs jours a renforcé nos quadriceps.
C’est un restaurant jouissant d’un point de vue unique. Quelle aubaine. Nous
nous installons sur une terrasse face à l’océan comme si nous étions à la barre
d’un paquebot dominant les flots. Bonheur simple.
Jour 6. Funchal. Jardin
tropical et promenade dans la ville.
Le bus nous emmène jusqu’au jardin tropical installé sur les
hauteurs. 15 mn de montée pour arriver au jardin où l’on s’acquitte du tarif de
5,5€. Peu de monde mais il est tôt. Une légère brume nimbe les alentours. Le
jardin d’une superficie de 80 000m2 s’étale sur plusieurs paliers soit une
altitude de 150 à 300m. Encore une fois
mais c’est une tradition à Madère nos mollets vont être sollicités…
L’aube et les premières heures de la matinée ont favorisé la
rosée. Vigilance donc car les allées peuvent être glissantes sur certains
segments. Le jardin est structuré par thèmes. Orchidées, palmiers, plantes
grimpantes, cycadales, hibiscus, jardins à la française avec des massifs
ornementaux que le plan à l’entrée qualifie joliment de jardins chorégraphiques,
plantes médicinales… Bref une richesse et une variété qui incitent les
visiteurs à prendre leur temps en picorant à leur gré les secteurs qui les attirent
le plus. Pour nous incontestablement c’est le coin des cactus. On n’imagine pas
l’extrême diversité de cette plante, peut-être parce qu’on est piégés par les
images standardisées de Lucky Luke ou
les westerns de Ford et autres.
Certains se dressent fièrement vers le ciel ou levant les
bras prennent les cieux à témoin, les implorant ou les saluant. D'Autres se
vautrent à même le sol, formes dodues ou biscornues. 2 heures de détente flirtant
avec le génie prolifique des plantes et des fleurs.
A la sortie nous hélons le taxi traditionnel de couleur jaune
( voyager c’est aussi utiliser tous les moyens de transport) et pour 6€ nous
arrête devant le marché des laboureurs, endroit pittoresque et incontournable
de Funchal. Sur 2 étages les étals offrent une profusion incroyable de fruits
et de légumes. Odeurs, ambiance sonore, couleurs…et des vendeurs qui nous
alpaguent. L’un d’eux me fait goûter dans un demi-fruit creusé plusieurs fruits
de la passion puis dans la foulée me fourgue dans un sac plastique un
assortiment de fruits en annonçant la mise 19€. Je ne suis pas preneur. Il
descend illico le prix à 9€.
Je tourne les talons mais il n’apprécie pas trop. Tant pis.
La pluie s’invite et redouble. J’entre dans un magasin,
achète un parapluie pour 2,95€. Nos pas nous emmènent vers la cathédrale. 10mn
après l’achat mon parapluie n’est plus de ce monde. Il a rendu l’âme sous
l’assaut d’une rafale de vent. Madame éclate de rire. Je reste penaud tenant
dans la main droite un moignon de parapluie…
La pluie fait partie de l’aventure et a sa part de
charme…lorsqu’on est à l’abri.
C’est le cas. Abrités sous un auvent nous faisons honneur à
notre déjeuner avec vue sur l’artère principale jouxtant le port. Allées et
venues des bus et taxis, des passants. Ce sera notre ordinaire jusqu’au moment
de régler la note.
Le voile nuageux a tenté de résister. La pluie a battu en
retraite puis les rayons lumineux ont percé la voûte grisâtre. Nous en
profitons pour aller jeter un coup d’œil au Fort Saint Jacques qui se drape
dans un jaune safran prétentieux. Déception. L’endroit est vide et hormis le
point de vue sur l’océan, l’intérêt est très relatif.
La pluie s’invite à nouveau. Il est 17h. Nous quittons
Funchal en prenant un bus aux ressorts fatigués qui ramènent les Madériens au
bercail. Les gouttes s’infiltrent, les jointures des vitres sont déficientes.
Les sièges près des fenêtres recueillent cette semence du ciel. Les tunnels
nous offrent un répit de courte durée. Nous changeons de place. Le bus se vide
au gré des arrêts. A Ribeira Brava nous ne sommes plus que 4…et le soleil déclare
sa flamme à la crique qui cerne la ville.
Demain. Décollage vers Paris. Un regret. Ne pas avoir eu le
temps ni l’équipement nécessaire pour faire une grande randonnée le long des
levadas.
En résumé Madère vaut le détour…et nous y retournerons.